Séance : Image in air
24 octobre 2013. Séverine DABADIE
www.severinedabadie.com

Scène de vie

Dissocier les particularités de la scène de vie car on en fait souvent un fourre-tout.
Nature-morte, portrait, paysage sont des catégories facilement « classifiable »… Mais la scène de
vie regroupe bien des sujets et bien des styles dont chacun peut avoir sa propre définition.
Quelle est la vôtre ?
Quelques points importants à noter :
Dans l’expression scène de vie, on note le mot VIE :
Il y a donc souvent de l’humain donc de l’émotion
Il y a interaction entre humains, les sujets
Il y a interaction entre le photographe et ces humains
Ceci entraîne un sentiment de complicité, d’empathie avec le sujet.
Mais il y a aussi une notion de fugacité, d’instant éphémère, imperceptible. Cela nous rappelle le
recueil de photos de Henri Cartier Bresson « à la sauvette » et immanquablement la théorie qu’il a
développée au sujet de « l’instant décisif ». Un quart de seconde avant, ce n’est pas le moment. Un
quart de seconde après, ce n’est plus le moment. Saisir de l’insaisissable, de l’impalpable et ressentir
l’instant.
Méthode :
Il est impératif d’évaluer l’intérêt de la scène.
Construire son image en fonction du pittoresque de la scène (Doisneau, Izis, Ronis), de sa gravité
(Dorothea Lange), de sa cocasserie (Erwitt, Martin Parr) ou de sa puissance émotionnelle (Mac
Cullin).
Il est important de ne jamais oublier que ces émotions sont inscrites dans un contexte mais aussi
dans un décor (intérieur ou extérieur) et que ce décor doit interagir avec l’humain, avec le sujet en
appuyant le propos, l’émotion ou au contraire en contrastant avec cette émotion, en instillant un
décalage (la photo de Golchin ; la poule et la petite fille qui étudie, les travailleurs des gratte-ciels
de New York décontractés au dessus du vide ou Erwitt et les fesses nues devant les braves dames).
La scène de vie est une mise en scène naturelle et spontanée de la vie que le photographe se doit de
capturer pour lui donner un sens.
Suivant le parti pris qu’adoptera le photographe pour mettre en valeur la scène, l’émotion qui sera
ressentie à la vue de la photo sera tout à fait différente. Cela est flagrant dans les photos d’Erwitt. Il
joue avec le décalage, les ressemblances entre chiens et maîtres, des prises de vues au ras du sol à
hauteur de chien ou le cocasse. Idem chez Martin Parr.
Concrètement :
Les scènes de vie sont absolument partout.
Il est donc nécessaire de repérer quel est l’intérêt visuel de la scène (couleur jaune chez Mac Curry
avec le berger allemand dans la belle voiture jaune conduite par le chauffeur à lunettes jaunes sur
fond de stores jaunes) (la tristesse du décor avec usines de Mac Cullin)…
Repérer aussi l’intérêt de son pouvoir d’évocation(douceur, attendrissement, pittoresque (Doisneau,
Izis) engagement politique, prise de conscience morale, poétique etc…)
Noter : les conditions de prise de vues, de lumière sont-elles bonnes, acceptables, dangereuses ? La
difficulté donne souvent de la valeur et une touche plus authentique. Devra-t-on et pourra-t-on
utiliser un pied ? Quelle sensibilité ? Pertinence de l’usage de la couleur ou du noir et blanc ?
Il faut être conscient de l’incongruité du photographe qui s’immisce au coeur de l’intimité d’une
scène dont il es impératif qu’elle reste « naturelle », « vivante » et « authentique ».
A noter que les gens ne réagissent pas avec autant de naturel lorsqu’ils sont en présence d’un
appareil photo : gêne, timidité…
Il est donc nécessaire de« se faire oublier ». Mais comment ? Si cela est possible, il faut fréquenter
les lieux et les personnes de manière récurrente afin de « faire partie des meubles » et ainsi devenir
transparent.
Il est important, (et cela sans gêner les sujets ni perturber la scène), de varier les points de vue et les
différents cadrages.
A proscrire : le mitraillage en règle. Il faut donc penser et construire son image en amont et capturer
l’instant fugace comme on s’emparerait d’un miracle.
Règles à suivre :
Respect, discrétion, discernement, acuité visuelle, évaluation de la lumière . Accorder la technique
en fonction des conditions sans se départir d’une réactivité et d’une vivacité d’esprit sans faille.
L’empathie avec le sujet est primordiale, se laisser absorber par l’émotion de la scène et rester lucide
à la fois.
Rester le plus possible derrière le viseurpour appréhender la scène non pas dans sa globalité mais
dans le cadre restrictif et construit que vous allez mettre en place. Sortir du cadre et revenir à la
réalité fait perdre le fil. Rester derrière son viseur protégera les photographes timides mais aussi
permettra de dissocier la réalité d’avec la composition naturelle que le photographe met en oeuvre
par son cadrage et la construction de son image.
Les règles de composition restent les mêmes que pour les autres domaines photographiques. En
premier lieu ne jamais oublier que la qualité première d’une image est d’être « lisible ». Mettre en
valeur le sujet principal par un jeu de profondeur de champ en l’isolant du décor ou au contraire,
faire entrer le décor comme un élément décisif du « discours photographique ».
Ne pas superposer les différents éléments de la scène afin qu’ils se « découpent » mieux dans le
décor.
Règle des tiers.
Ne pas centrer son sujet dynamise l’image. (contre exemple Mac Curry et la voiture jaune).
Il est nécessaire de dynamiser la puissance du discours photographique à travers le cadrage puisque
le cadrage se fait en fonction d’une composition de l’image sur laquelle nous ne devons pas
intervenir afin de garder le naturel et l’authenticité de la scène.
Mettre le sujet principal en valeur en le situant dans un cadre fermé, protecteur et resserré (par la
lumière, le vignetage, un feuillage, une paroi murale…). Focaliser l’intérêt sur le sujet, s’est
préserver l’intimité et le dialogue direct entre le lecteur de l’image et le sujet. De ce fait, oublier le
rôle du photographe, sa virtuosité au profit du lien direct entre l’oeuvre, je dirais même entre son
sujet et celui qui contemplera l’image.
La scène de vie doit interpeler et faire partager une émotion, une connivence.
Suivant le parti pris qu’adoptera le photographe, l’image d’une même scène ne suscitera pas la même
émotion auprès du lecteur.
Dans le mot « scène de vie », il y a « VIE » et on retrouve donc une notion d’instantanéité et de
naturel. Mais il y a également le mot « SCENE » comme si la vie était un théâtre.
Le photographe doit être une metteur en scène qui va témoigner d’un moment fugace d’une pièce
dont il n’est en rien l’auteur. « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur »
disait Cocteau.
Travailler sur des scènes de vie, c’est faire un reportage avec des éléments incontrôlables et leur
donner un sens par un simple parti pris humaniste et/ou artistique, c’est témoigner du monde comme
il va.